- Roger Bacon: Avenir chrétien
- Avenir chrétienMise au pouvoir de l’Église, la science lui assurerait la place qu’elle doit avoir : une théocratie appuyée sur la science expérimentale, tel est le cadre de la société. Bacon voit d’un très mauvais œil l’importance et l’autonomie que prend alors le droit civil, enseigné surtout à l’Université de Bologne et issu du droit romain ; tandis que, pour saint Thomas, la société civile, issue du droit naturel, a une autonomie pareille à celle que Dieu a donnée à la nature, pour Bacon, le droit civil, autant qu’il existe, doit se réduire à une simple routine qui dépend du droit canon, lui-même inspiré de l’Écriture ; conseillés par les clercs, les chefs de la Cité doivent s’occuper de l’organisation rationnelle de leur ville, organisation qui rappelle la République de Platon avec sa hiérarchie en quatre classes : clercs, savants, soldats et artisans, avec ses lois d’eugénique, mais qui institue en outre des écoles techniques pour les ingénieurs, des caisses d’assurance contre la maladie et la vieillesse et le plébiscite comme source de l’autorité. Ces institutions ne concernent que les conditions matérielles de la vie humaine. Au-dessus d’elles, l’Église, qui les a ordonnées, doit avoir une puissance qui sera toute fondée sur la science ; les grands desseins des papes du Moyen Age, réunion de l’Église grecque, conversion des Tartares, destruction des Sarrasins, s’exécuteront alors par des moyens pacifiques et guerriers ; la mission apostolique sera rendue possible par le progrès des connaissances géographiques, lorsque l’on pourra gagner les Indes par l’Occident ; et c’est par la science et par l’étude de langues que la vérité de l’Évangile sera démontrée.Ainsi se mêlent, dans ses visions d’organisation chrétienne de la terre, pratique et religion, science et mystique. Roger Bacon est un des premiers qui aient eu le sentiment vif du rôle de l’Occident dans le monde ; ce rôle, il l’a exprimé, comme il le devait en son siècle, dans la conception qu’il se fait du christianisme ; le christianisme tendait presque à apparaître dans les Universités et les couvents soit comme un ensemble de dogmes, soit comme une technique du salut personnel ; il est effectivement et dans l’histoire une puissance d’expansion au service de la vérité : c’est ainsi que l’a vu Roger Bacon, et c’est pourquoi il n’a pas séparé la science de la puissance. On lui reproche parfois de soutenir des thèses surannées, et en effet il allait contre les tendances d’une époque prudente et organisatrice qui voulait séparer, tout en les hiérarchisant, nature et surnature, raison et autorité, science et foi ; aussi bien était-il considéré comme un ennemi, et, dès que son protecteur, le pape Clément, mourut, il fut de nouveau persécuté ; mais cette prudence organisatrice devait aboutir, au XIVe siècle, à la dissolution de la scolastique, tandis que l’esprit baconien devait persister dans l’idée vivante et active de la mission de l’Europe.
Philosophie du Moyen Age. E. Bréhier. 1949.